par Ewen FOLLIOT
Le triple-double. Symbole de polyvalence et d’excellence dans la production statistique, il est aujourd’hui monnaie courante. L’arrivée croissante des “freaks” en NBA provoque ces dernières années sa prolifération dans les box-scores. Avant d’être l’apanage des Russell Westbrook, Giannis Antetokounmpo et autres Ben Simmons, cependant, il fut un homme qui a fait de cette performance sa marque de fabrique. Il y a exactement 60 ans il mettait un pied en NBA pour la première fois, mesdames et messieurs : Oscar Robertson.
He has a dream
Oscar Robertson naît et grandit dans une Amérique régie par les lois racistes de la ségrégation. Petit-fils d’esclave, il passe son enfance dans un ghetto très modeste d’Indianapolis. Tout jeune, il se rend déjà bien compte des injustices terribles qu’il subit et de l’adversité qu’il va devoir surmonter pour les abolir. Dès l’âge de sept ans, on peut le voir lui et son frère aîné Bailey jouer au basket dans le quartier, avec un ballon de fortune constitué de morceaux de chiffon et de caoutchouc.
De son jeune âge, Oscar rêve, comme beaucoup, de devenir un jour un athlète de très haut niveau dans ce sport dont il est d’ores et déjà tombé amoureux. Mais, contrairement à la plupart de ses pairs, il va s’accrocher à ce rêve et ne le laisser filer sous aucun prétexte.
Les années passent et Robertson intègre le lycée noir de Crispus Attucks High Shool, nommé en l’honneur d’une des victimes afro-américaines du massacre de Boston en 1770. Son frère y a déjà passé quelques années et a mené l’équipe de basketball locale au titre de Championne de la Région. Oscar Robertson est coaché par Ray Crowe, un entraîneur aux méthodes drastiques qui lui inculque les fondamentaux et proscrit l’utilisation des moves fantasques et spectaculaires qu’il a appris dans la rue, au profit d’un jeu classique, rigoureux et efficace. Oscar Robertson joue sa première saison en 1954 et son impact positif se fait très rapidement et très lourdement ressentir. Crispus Attucks échoue cependant en demi-finale du Championnat d’État. Lors de la saison 1955, il mène son équipe à un bilan record de 31 victoires pour seulement 1 défaite et à un titre de Champion d'État de l’Indiana, une première pour une équipe composée exclusivement de joueurs afro-américains. Robertson ne s’en contente pas et sur l’exercice suivant, il porte Crispus Attucks lors d’une saison parfaite : 31 victoires, aucune défaite, et un second titre de Champion de l’Indiana au compteur. Comble de l’injustice cependant, l’équipe n’est autorisée à parader dans les rues de la ville pour aucun de ces deux titres, alors que les équipes mixtes et blanches en ont l’honneur lorsqu’elles gagnent le trophée. À charge de revanche...
Sweet Home Cincinnati
Les performances phénoménales du meneur de jeu ont tapé dans l'œil de très nombreuses universités, et il est approché par plus de 30 d’entre-elles qui souhaitent le voir dans leurs rangs. Il choisit de déménager dans l’Ohio, afin d’intégrer l’université de Cincinnati et son équipe de basketball : les Bearcats. En tant qu’étudiant de première année, il n’est pas autorisé à participer aux matchs NCAA. Cela ne l’empêche de faire des apparitions remarquées lors de rencontres d’exhibition, notamment sa première sous le maillot des Bearcats, au cours de laquelle il marque 37 points, gobe 17 rebonds et distribue 8 passes décisives.
Ses débuts dans un match compétitif, l’année suivante, sont tout aussi fracassants : 28 pts, 15 rebonds et 14 passes décisives. Cette rencontre lui vaudra le sobriquet de “Big O”, donné par un reporter local bouche bée face à sa prestation. Il ne quitte plus ce surnom depuis. Et pour cause : Oscar est grand. Il mesure 1m96, ce qui est bien au-dessus de la moyenne des meneurs de l’époque. Ses qualités athlétiques lui permettent de dominer au rebond et au scoring dans la peinture, tandis que sa vision du jeu et son toucher en font un passeur hors-pair et un shooteur efficace. Du haut de ses 20 ans, Robertson est déjà une machine inarrêtable. Sur ses 3 saisons universitaires, il compte en moyenne 33,8 pts, 15,2 rebonds et 7,1 passes décisives par match et il est systématiquement récompensé du titre de Joueur de l’Année par plusieurs organismes de presse sportive. Il n’arrive cependant pas à emmener les Bearcats au titre NCAA, s’inclinant une fois en demi et deux fois en finale.
À l’issue de son cursus universitaire, en 1960, il dispute les jeux-olympiques de Rome avec Team USA et remporte la médaille d’or, finissant même meilleur marqueur de l’équipe devant un certain Jerry West. Des débuts tonitruants pour une carrière professionnelle déjà emplie de promesses. Il débarque en NBA la même année en tant que premier choix de la draft, sélectionné par les Cincinnati Royals (ancêtres des Sacramento Kings). Avec 30 points, 10 rebonds et 9 passes décisives par match dès sa première saison, Robertson est élu All-Star et remporte son premier titre de MVP du All-Star Game, le titre de Rookie de l’Année mais il est également promu membre de la Première Équipe All-NBA, aux côtés des monstres que sont Bob Cousy, Wilt Chamberlain, Bob Pettit et Elgin Baylor.
Oscar Robertson sous le maillot iconique des Cincinnati Royals
La planète basket vient d’assister à une saison légendaire de Big O, et celui-ci ne s’arrête pas là. Sur l’exercice suivant, sa ligne statistique entre dans l’histoire : 30,8 pts, 12,5 rebonds et 11,4 passes décisives en moyenne par match. Une saison en triple-double de moyenne. Une première pour un joueur NBA et une performance qui ne sera égalée que 55 ans plus tard par Russell Westbrook.
Mieux encore : sur ses cinq premières saisons NBA, Oscar Robertson est en triple-double de moyenne, avec 30,3 pts, 10,3 rebonds et 10,6 passes décisives en 384 matchs disputés.
Sa saison 1963-64, avec une pointe en carrière à 31 points par match, lui permet d’être élu MVP de saison régulière. Chaque année, il figure sur la liste des joueurs All-Star et dans la All NBA First-team. Sur le parquet, Robertson fait tourner la tête à ses adversaires, aux spectateurs, aux journalistes et aux statisticiens. Pourtant, malgré ces performances ahurissantes, il ne parvient pas à hisser les Royals plus loin que les finales de conférences. Tantôt éliminés par les Warriors de Wilt Chamberlain, tantôt par les Celtics de Bill Russell, la franchise semble vouée à s’écraser constamment contre un plafond de verre. Lors des saisons 1968 à 1970, Cincinnati ne parvient même pas à se qualifier en Playoffs. Les fans s’impatientent et veulent voir du changement. Leur demande est exaucée, mais probablement pas comme ils l’auraient imaginé. Durant l’intersaison 1970-71, les Royals font une annonce qui choque le monde du basket : ils tradent leur superstar Oscar Robertson aux Milwaukee Bucks, contre Charlie Paulk et Flynn Robinson. Difficile d’expliquer comment cela a pu arriver, mais il semblerait que Big O ait été fortement en désaccord avec le management de Cincinnati à l’époque, et plus particulièrement avec Bob Cousy, qui s’y était greffé quelques années auparavant.
“Mr. Triple-Double” prend donc la direction du Wisconsin, désireux de prouver à son ancienne franchise que le transférer était une erreur. Il laisse derrière lui 10 saisons de bons et loyaux services dans l’Ohio, avec 29,3 pts, 10,3 passes décisives et 8,5 rebonds par match en moyenne.