Par Enzo Morisseau
Le sport est d’une cruauté implacable : seuls les gagnants sont récompensés. Les vainqueurs l’écrivent, les vaincus racontent l’histoire. La NBA ne déroge pas à la règle : les trophées ne sont pas soulevés par ceux qui sont allongés en pleurs sur le parquet après une défaite, sinon Elgin Baylor serait plus célèbre que Michael Jordan. Si la Grande Ligue offrait des prix aux perdants magnifiques ainsi qu’aux joueurs poisseux, nul doute que la franchise des Portland Trail Blazers aurait un palmarès plus fourni que celui qui est le sien à l’heure actuelle : un unique titre glané en 1977. Pourtant, l’équipe située au nord-ouest des Etats-Unis dans l’Oregon, état dominé par les eaux froides du Pacifique et des immenses forêts, a connu de nombreux All-Star et de grands joueurs sous son maillot. L’absence de bagues au cœur de la Cité des Roses depuis la fin des années soixante-dix peut s’expliquer par de nombreuses raisons cartésiennes. Cependant, il serait malhonnête d’omettre l’effroyable poisse qui a poursuivi l’équipe du début années 90 jusqu’à la fin des années 2010.
Le début des années 90 : Drexler dans l’ombre de Jordan
Les années 80 riment avec la domination de deux des plus grandes équipes de l’histoire de la Grande Ligue : les Lakers de Magic et les Celtics de Bird. Durant cette décennie, les deux équipes remporteront 9 titres à elles deux, rien que ça. C’est lors du déclin de celles-ci que les Blazers reviennent sur le devant de la scène, plus de dix ans après leur sacre. Portée par Clyde Drexler, l’équipe arrive jusqu’en finale en 1990 face aux bad boys de Detroit. L’addition fut lourde : une défaite 4-1 face à une équipe championne en titre. Cependant, l’équipe est encore jeune et peut viser de nombreux titres à l’avenir. Lors de la saison suivante, l’équipe affiche un cinq de qualité qui dévoile ses ambitions : retourner en finale et ramener le trophée dans la Cité des Roses. Clyde Drexler est le franchise player. Un arrière très complet, ultra aérien et excellent défenseur. Ses atouts défensifs ont été mis en valeur quelques mois auparavant, lors d’un match 7 dantesque face au Spurs. Il a volé le ballon dans les mains d’un joueur de San Antonio alors qu’il filait au lay-up à… une seconde du terme de la rencontre. Résultat, Portland a gagné la série. Il est entouré par Terry Porter, un meneur excellent dans la distribution de caviars, Jérôme Kersey un ailier puissant, Buck Williams et Kevin Duckworth. La saison débute de la manière des manières et l’équipe enchaîne les victoires. Un soir de novembre, ils vont même marquer l’histoire avec un quart temps absolument parfait. Face aux même Spurs qu’ils ont éliminé la saison précédente, les Blazers vont démarrer la rencontre par un 49-18. Des chiffres complètement dingue, il y en a à la pelle : 31 points d’écart après seulement 12 minutes, 15 points pour Drexler, 10 passes pour Porter et 22/25 au shoot. Ahurissant. David Robinson, intérieur jouant face à eux ce soir-là, déclara à l’issu du match : « C’est le meilleur quart-temps que je n’ai jamais vu. C’était phénoménal » Cette performance est à l’image de la suite de la saison : exceptionnelle. L’équipe atteint le bilan de 63 victoires pour 19 défaites, le meilleure de l’histoire de la franchise. De son côté, la star Drexler score 21,5 points de moyenne et se voit sélectionné pour son 5 -ème All Star Game. Malheureusement, les Blazers chutent en finale de Conférence face à Los Angeles, comme quoi les grandes équipes ne meurent jamais. Drexler et sa team entament la saison 91-92 en enfilant les victoires comme des perles. Cette fois-ci, ce n’est pas un bilan record ou un quart temps parfait qui mettront la lumière sur la ville du nord-ouest, mais les performances XXL de Clyde Drexler. Surnommé « The Glide » ( le planneur) en raison de sa détente incroyable, l’arrière des Blazers cumule plus de 25 points, 6 passes et 6 rebonds par match.
Son niveau de jeu lui permet d’entrer dans la course au MVP, le trophée récompensant le meilleur joueur de la saison. Malgré ses statistiques et le bilan de son équipe plus qu’honorables, il voit le trophée lui échapper. Michael Jordan est élu MVP de la saison 1991-1992. La lutte avec Jordan et les Chicago Bulls se poursuivra jusqu’en finale. « The Glide » a enfin l’opportunité de battre celui qui est considéré comme le plus grand de tous les temps. Mais les choses se passeront mal pour Portland : la franchise s’incline une nouvelle fois aux portes du sacre, 4-2. La dynastie des Bulls ne fait que commencer. Nouvelle défaite pour Drexler face à son adversaire de toujours. En effet, l’enfant de Houston s’était déjà incliné devant Jordan lors de ses années universitaires. Entouré par le pivot Olajuwon notamment, il affronte la fac de North Carolina emmenée par le légendaire numéro 23 au début des années 80. Les demi-finales sont remportées par l’équipe de l’est des Etats-Unis. La comparaison entre les deux joueurs se poursuit même dans le style de jeu : ils sont arrières, très aériens, redoutables dunkers, spectaculaires, bon défenseurs, leaders au sein de leur unique franchise. Même sur le flocage du maillot, Clyde est juste derrière Michael, le premier porte le 22 tandis que le second porte le 23. A l’été 92, l’arrière originaire de Houston remporte son unique trophée de sa période Blazers : les Jeux Olympiques. Il fait parti de la dream team, sans doute la meilleure équipe de l’histoire de ce sport qui ira étriller quiconque se mettra sur son passage à Barcelone. Elle est composée notamment de Magic, Larry Bird, John Stockton, Karl Malone ainsi que Clyde Drexler et Michael Jordan. Inutile de souligner qu’à côté de tels noms, celui du joueur de Portland ne sera que peu cité. Encore une fois, Michael passe devant lui, même lorsqu’ils jouent ensemble. A la fin de sa carrière, il déclarera : « Il est phénoménal, l’un des meilleurs contre qui j’ai joué, mais qui peut être considéré meilleur que Kareem, Wilt, Erving, ou encore Magic ou Bird ? Je n’ai jamais été d’accord avec ça. On est tous des compétiteurs. » Fier comme « The Glide ». Nul ne peut affirmer ce que le numéro 22 aurait accompli sans son rival. Par contre, le monde entier connaît la réciproque. La suite est encore plus ironique pour Portland. La franchise se sépare de Drexler, aujourd’hui considéré comme le meilleur joueur de son histoire, en 1994, alors que les fans de NBA pleurent le départ en retraite de Jordan. « The Glide » est envoyé à Houston, ville de son enfance, ville de son adolescence, ville où règne son ami d’université Hakeem Olajuwon, ville qui a éliminé les Blazers lors des derniers Play-offs. L’équipe de la Cité des Roses assiste cette année-là au sacre des Rockets de Houston ainsi qu’au premier titre de Drexler alors que Jordan sort à peine de sa retraite sportive, quelques mois seulement après son départ. Les Blazers ne remporteront plus aucun titre. Drexler non plus. MJ en remportera 3.
Tournant du millénaire : Les Jail Blazers
Suite aux multiples défaites prématurées en Play-Off, 6 défaites au premier tour entre 89 et 96, l’effectif a été complètement remodelé. Le départ de Drexler marque une nouvelle ère pour la franchise, une ère que les dirigeants souhaitent davantage victorieuse maintenant que Michael Jordan semble définitivement parti. De nombreux joueurs ont aussi été poussés vers la sortie : Drazen Petrovic, Kevin Duckworth, Jérôme Kersey et Clifford Robinson. Ces quatre-là sont tristement célèbres puisqu’ils ont connu la mort de manière prématurée. Kevin Duckworth est décédé d’une crise cardiaque en 2008. Jérôme Kersey est décédé d’une embolie pulmonaire en 2015. Cliff Robinson nous a quittés l’année dernière. Et enfin Drazen Petrovic, l’un des destins les plus tragiques de la NBA. Après avoir ciré le banc quelques temps chez les Blazers, l’allemand a explosé chez les Nets. C’est à se demander comment le staff de la franchise de l’Oregon ne s’est pas aperçu qu’un tel talent se cachait dans leur effectif. Drazen Petrovic s’est tué dans un accident de voiture en 1993, au sommet de sa carrière NBA. Il est considéré, encore aujourd’hui, comme l’un des plus grands talents que l’Europe n’a jamais connus. Ces quatre joueurs ont le point commun d’avoir porté les couleurs de Portland au début des années 90. Cependant, aucun d’entre eux n’a connu l’une des pires périodes de l’histoires des Trail Blazers : Les Jail Blazers. Si on s’intéresse à l’équipe uniquement à travers le prisme des résultats, le tournant du millénaire n’a rien d’une ère catastrophique pour la franchise. En effet, l’équipe participe à 7 campagnes d’affilé en Play-Off dont deux se termineront par une finale de Conférence, ainsi qu’une saison régulière presque record avec 59 victoires. Sur le papier, tout baigne. En regardant les noms inscrits sur la feuille de match, les résultats s’expliquent. De nombreux grands joueurs et All Star ont porté les couleurs de la franchise entre 1995 et 2005 : Arvydas Sabonis, un intérieur de 2 mètres 21 à l’intelligence de jeu remarquable, Rasheed Wallace, un dur au mal bien connu des connaisseurs de la NBA, Zach Randolph, un ailier fort qui deviendra un des meilleurs joueurs de l’histoire de Memphis, Steve Kerr, un shooter champion à de multiples reprises avec les Bulls et surtout Scottie Pippen, bras droit de MJ et l’un des défenseurs les plus coriaces de tous les temps. Alors pourquoi ces joueurs ont joué au sein d’une des pires époques de la franchise ? Pourquoi le surnom des Jail Blazers ? « Trail Blazers » est le surnom des joueurs de Portland depuis la création de la franchise en 1970, cela peut être traduit par « pionniers ». Mais au tournant du millénaire, les suiveurs de la Grand Ligue se sont moqués en le transformant par « Jail » qui signifie « prison ». La raison est simple : un nombre incroyable de joueurs ont connu des déboires avec la justice. La liste est longue, très longue. A croire que les scouts de Portland souhaitaient battre un record de garde à vue. - Qyntel Woods : Il s’est battu avec un autre membre de l’effectif, Ruben Patterson ( lui aussi sur la liste). Il a été arrêté en possession de marijuana ainsi que pour cruauté envers les animaux ( il organisait des combats de chiens depuis chez lui). - Ruben Patterson : Il a été arrêté pour violences domestiques sur sa femme. - Zach Randolph : Il s’est battu avec un autre membre de l’effectif ( Ruben Patterson encore lui) et a été arrêté au volant sous marijuana ( et oui lui aussi). - Damon Stoudamire : Il a été arrêté au volant sous marijuana ( à croire que c’était une mode dans l’Oregon), en compagnie d’un autre membre de l’effectif, Rasheed Wallace ( lui aussi sur la liste). Son principal fait d’arme est d’avoir essayer de prendre l’avion avec 43 grammes de drogue. - Rasheed Wallace : Il a le record de fautes techniques sur une saison avec une moyenne d’une tous les deux matchs et a aussi menacer un arbitre ainsi qu’un journaliste. Voilà qui explique le sobriquet de « Jail Blazers ». Steve Kerr, célèbre pour être devenu le coach de la légendaire équipe des Warriors de Steph Curry, a déclaré au sujet de son bref passage dans l’Oregon : « C’était incroyable. C’est probablement la saison la plus amusante de ma carrière, rien que pour voir les dysfonctionnements. Je n’ai jamais vu ça ailleurs ! » Et encore, la liste des déboires pourrait s’étendre davantage. Cette équipe représente à merveille la période controversée que la NBA a traversé au tournant du millénaire. La culture hip-hop gangster a pris une place importante au sein de la Grande Ligue, trop importante peut-être. Cette ère a pris fin au même moment que les « Jail Blazers ».
Un soir de novembre 2004, une bagarre d’une violence rare a éclaté lors d’un match entre Pistons et Pacers. Un des membres des « Jail Blazers » était présent : le Sheed, Rasheed Wallace. Ce joueur a perpétué une tradition entamée par Clyde Drexler : devenir All Star sous les couleurs de Portland, échouer après plusieurs tours de Play-Off, quitter la franchise sans titre puis remporter un titre de champion NBA moins d’une saison après son départ. Suite à cette rixe, la ligue a renforcé le règlement afin de diminuer l’influence des « bad boys » sur la ligue. Ces décisions coïncident avec la transition vers une nouvelle époque pour Portland.
Fin des années 2000 : L’étincelle Brandon Roy
Le renouveau doit passer obligatoirement par le démantèlement des terribles « Jail Blazers ». Il est strictement impossible de reconstruire une équipe capable d’aller en finale sur des bases aussi malsaines. Les changements ne se font pas attendre : dès 2006, la franchise affiche un visage porté vers l’avenir avec l’arrivée du coach Nate McMillan et la draft de deux joueurs prometteurs : Lamarcus Aldridge et Brandon Roy. Après une saison catastrophique mais strictement nécessaire à la reconstruction de l’équipe, Portland obtient le premier choix de la draft 2007. Avoir le 1st pick signifie pouvoir choisir le meilleur joueur universitaire du pays, une aubaine pour le renouveau souhaité. Malheureusement, ce choix de draft est un des pires de l’histoire de la franchise. Il pouvait en être autrement un an après deux réussites au sein de la draft 2006. La malchance ne peut éviter l’Oregon deux ans de suite ! Portland sélectionne Greg Oden tandis que leurs rivaux de toujours, les Sonics de Seattle sélectionnent un certain Kevin Durant en deuxième position. Quel bilan en NBA pour les deux joueurs ? Oden est aujourd’hui l’un si ce n’est le pire premier choix de draft depuis des dizaines d’années. Il n’a jamais enchaîné plus de deux saisons de suite et a stoppé sa carrière à cause de blessures trop encombrantes. Kevin Durant ? Deux titres de champion NBA, deux titres de MVP des finales, un titre de MVP, et est considéré par certains observateurs comme le plus grands joueur offensif de tous les temps. Malgré cette draft totalement loupée, les victoires commencent à revenir en Oregon. Déjà, une récompense individuelle, cela fait toujours plaisir aux supporters. Brandon devient Roy, enfin Brandon Roy remporte le trophée de R.O.Y, Rookie Of the Year. Il devient le chouchou des spectateurs du Rose Garden et son niveau de jeu augmente de manière exponentielle au fil des mois. Lors de sa deuxième année dans la Grande Ligue, il score 19,1 points de moyenne et est sélectionné pour le All Star Game. Le nouveau visage de la franchise est né. Dans son sillage, les Blazers grimpent au classement et manque les Play-Off de peu en 2008. Brandon Roy prend alors rendez-vous pour la saison suivante. Au tout début de celle-ci, le 6 novembre, B-Roy marque les esprits de la planète basket avec un shoot incroyable. Lors d’un simple match de saison régulière face aux Houston Rockets, celui qui est surnommé « The Natural » redéfinit la notion de « clutch », autrement dit le fait de rentrer ses paniers dans les derniers instants d’un match. Portland est mené de deux points à 0,8 secondes de la fin. Le rookie Nicolas Batum passe la balle à Roy situé à presque deux mètres de la ligne des trois points. L’arrière s’oriente vers le panier en étant en l’air et shoote entouré par trois joueurs texans. Les Blazers s’imposent d’un point grâce à ce tir miraculeux de leur star. Un moment de légende comme une franchise n’en connait peu. Oui, sauf que moins d’une dizaine d’années plus tard, face à ces mêmes Rockets, Damian Lillard inscrit un panier quasiment similaire. La symétrie est presque parfaite. Au sujet de la ressemblance entre les deux shoot au buzzer, Nicolas Batum déclarera : « Même endroit, même équipe, même tir » La saison 2008-2009 sera statistiquement la meilleure de Roy avec 22,6 points de moyenne. Il réussit à emmener les Blazers jusqu’en Play-off épaulé par Lamarcus Aldridge. L’avenir semble radieux dans l’Oregon.
Brandon Roy devient un des meilleurs joueurs du monde lors du dernier quart temps. Il a une capacité à gérer son sang froid et à prendre les bonnes décisions que peut possèdent. Le tout mêlé à un précision au shoot très solide, une élégance remarquable et une excellente capacité à pénétrer dans la raquette. « The Natural » est un régal à voir jouer . Lors du Christmas Day 2009, il marquera 41 points dans un duel face aux Nuggets de Carmelo Anthony et signe le record de la franchise pour cette date mythique. Son record tient toujours. Pourtant, alors que les sommets lui tendent les bras, l’apparition de l’année 2010 signe le début de la fin pour lui. Il apprend qu’il souffre d’une arthrite dégénérative au genou et qu’il ne pourra probablement plus jamais jouer au basket de haut niveau d’ici… quelques mois. C’est un cataclysme pour lui, c’est un cataclysme pour Portland. L’histoire est jalonnée d’hommes héroïques qui sont revenus des enfers alors que le monde les croyait morts. Dans chaque sport, il existe des corps qui se sont regénérés et sont devenus des modèles pour la science. Brandon Roy ne sera pas l’un d’eux. Il met fin à sa carrière en 2011 après seulement 5 années dans la Grande Ligue. La malédiction des Blazers atteint son paroxysme. Après les défaites en finales, l’omniprésence de Michael Jordan, des problèmes de vestiaires, des déboires avec la justice, un premier choix de draft loupé, voilà que Brandon Roy s’inscrit dans cette accumulation d’évènements contraires. B-Roy représente ce que le sport a de plus beau et de plus cruel à la fois: sa capacité à passer de l’ombre à la lumière, de majesté à tragédie, d’incendie à étincelle. Chaque moment de gloire, même la plus éternelle des carrières, peut-être éphémère si elle n’est pas considérée comme fragile et laconique. Le temps est une notion que les hommes n’ont jamais su maîtrisée. Pourtant, certains, dont Brandon Roy, l’ont apprivoisé et ont transformé 0,8 secondes en un jardin aux possibilités infinies. Suite à sa fin de carrière, « The Natural » a connu des moments sombres. Il est tombé en dépression et a complètement disparu du monde médiatique. Même ceux à qui il a donné le plus d’amour, les Portland Trail Blazers, semblent l’avoir oublié. Son nom n’est toujours pas accroché au plafond du Moda Center, le numéro 7 qu’il a porté tout au long de sa carrière n’est toujours pas retiré bien qu’aucun ne l’ait porté depuis. Bientôt dix ans après ses dernières danses, il serait temps d’y remédier.