par Richard JUNGAS


« Aujourd’hui, avec un large éventail d’émotions, j’annonce que je me retire du basket. IMMENSE GRATITUDE à tous ceux (famille, amis, coéquipiers, entraîneurs, staff, fans) impliqués dans ma vie au cours des 23 dernières années. Ce fut un fabuleux voyage. Bien au-delà de mes rêves les plus fous. ». C’est avec ces mots que Manu Ginobili mis fin à sa carrière de basketteur professionnel le 27 août 2018, à 41 ans. Rarement un départ à la retraite aura soulevé des commentaires et des louanges aussi unanimes, sur les qualités du joueur mais encore plus sur les qualités de l’homme, que celles provoquées par l’arrêt de Manu. Pour le comprendre, il nous faut revenir sur la longue carrière pavée de succès du meilleur basketteur argentin de l’histoire et légende de la NBA. Emanuel David Ginóbili, plus couramment appelé " Manu Ginobili ", naît le 28 juillet 1977 en Argentine, dans la ville de Bahía Blanca (la « baie blanche »), considérée comme la capitale du basketball en Argentine (comme par hasard). S’ajoute à cela que le basket est une histoire de famille chez les Ginóbili. Très vite Manu le découvre aux côtés de son père, Jorge, entraîneur dans un club de Bahía Blanca. Alors que le petit gaucher se prend progressivement de passion pour la balle orange, à travers notamment son idole Michael Jordan dont il ne rate aucun match, ses deux grands frères Léandro et Sebastián deviennent des joueurs professionnels au sein de la LNB (Liga Nacional de Básquetbol), la première division argentine. Enfant à l’énergie débordante, le jeune Manu Ginobili se canalise à travers le basketball. Jugé « trop petit », « trop chétif », pas assez régulier, ou encore au style de jeu atypique, le gamin de Bahía Blanca travaille dur et développe très vite des qualités et une compétitivité qui le feront percer dans ce sport bien souvent réservé aux monstres de par leur physique ou par leur taille. Il débute sa carrière professionnelle en Argentine avec l’Andino Sport Club à La Rioja, durant la saison 1995-96, avant d’être transféré au club d’Estudiantes de Bahía Blanca, le grand club de sa ville natale qui évolue en LNB. Il joue deux saisons au plus haut niveau argentin, de 1996 à 1998, avant de se laisser tenter par une expérience européenne avec le Viola Reggio Calabria en Italie. Il y retrouve alors la terre de ses ancêtres car comme beaucoup d’Argentins il est descendant d’immigrants italiens de la fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle. Il possède d’ailleurs la double citoyenneté argentine et italienne. En deux saisons en Italie, il attire les regards sur lui à tel point qu’il est choisi en 57ème position par les San Antonio Spurs à la Draft 1999.

 

Néanmoins, en raison d’une réticence à sélectionner des joueurs non-américains de la part des franchises NBA, Manu Ginobili est déçu par sa sélection tardive en fin de deuxième tour (57ème sur 60 choix possibles) et décide de rester encore quelques saisons en Europe, comme l’ont fait d’autres joueurs y évoluant avant lui (Drazen Petrovic, Toni Kukoc, ou encore Arvydas Sabonis). Après deux saisons intéressantes au Reggio Calabria, le célèbre club Virtus Bologne, vainqueur de l’Euroleague en 1998, parvient à l’attirer. En à peine deux saisons, de 2000 à 2002, dirigé par Ettore Messina, Manu s’inscrit comme l’un des meilleurs joueurs évoluant en Europe et aide le Virtus Bologne à faire le triplé championnat-coupe nationale-coupe d’Europe en 2001, et à remporter à nouveau la coupe d’Italie en 2002. Au Virtus Bologne, Ginóbili est désigné MVP du championnat italien à deux reprises, ainsi que meilleur joueur de la coupe d’Italie 2002, et surtout MVP de la finale de l’Euroleague 2001. Également sélectionné à deux reprises (s’ajoutant à sa sélection en 1999) au All-Star Game du championnat italien, Manu Ginobili, du fait de ses origines italiennes et de sa réussite individuelle et collective, devint rapidement une figure emblématique du championnat italien.

 

À la fin de la saison 2001-2002, celui que l’on surnomme parfois « El Manu » rejoint la sélection nationale argentine pour prendre part au championnat du monde à Indianapolis, aux États-Unis. Un an après avoir porté son équipe nationale à la victoire au Championnat des Amériques en étant élu meilleur joueur du tournoi, le gaucher brille à nouveau et porte cette fois l’Argentine à la seconde place du Championnat du monde derrière la Serbie-et-Monténégro. Avec sa sélection il réalise au passage un exploit retentissant en infligeant une défaite aux États-Unis, la première lors d’une grande compétition internationale depuis le retour des joueurs NBA en sélection en 1992 (et ce sur leurs propres terres). Fort de sa bonne compétition, Manu Ginobili est élu dans l’équipe du tournoi en compagnie de stars, ou futures stars NBA, comme Yao Ming, Dirk Nowitzki et Peja Stojakovic (MVP du tournoi). Couronné de succès aussi bien en Italie, en Europe, et sur le plan international, l’Argentin décide enfin de traverser l’Atlantique et de rejoindre la plus grande ligue de basketball du monde : la NBA. Bien qu’ayant brillé sur la scène internationale quelques semaines auparavant, Manu arrive aux États-Unis dans un relatif anonymat pour la plupart des spectateurs de la grande ligue, et toujours avec cette étiquette dans le dos de joueur non-américain au profil atypique et au physique loin d’être extraordinaire. Il est vrai qu’avec 1.98 m et 93 kg, « El Manu » ne sort pas vraiment des standards habituels pour un arrière en NBA, mais il compense à travers sa spontanéité et sa compétitivité hors normes. Manu Ginobili est un joueur flamboyant, un gaucher génial, qui pratique un jeu rapide et intense. Son style de jeu atypique, tout en créativité, est un véritable problème pour les défenses adverses. Capable de coups de génie à n’importe quel moment d’un match, « Gino » a illuminé les spectateurs avec ses passes lumineuses que lui seul pouvait voir et réaliser, ses tirs clutchs, ses pénétrations félines et précises ou encore ses dribbles en forme d’arabesques inventées sur le moment. Manu était le genre de joueur qui était aussi difficile à défendre de par son imprévisibilité, qu’agréable à regarder évoluer sur un terrain de basket en raison de son élégance et de ses inspirations géniales. Artiste, génial, créatif, gagneur et spectaculaire, Manu sera pour toujours associé à « l’eurostep », aussi appelé le « pas européen », qu’il popularisa outre-Atlantique. En effet, bien que Manu Ginóbili n’en soit ni l’inventeur ni même le premier à l’effectuer sur les parquets NBA (Elgin Baylor apparaît comme un des pionniers de ce mouvement dès les années 60), sa façon de le faire avec des grands appuis décalés va pour toujours l’associer à ce pas, repris depuis par les plus grandes stars de la NBA, de Russell Westbrook à James Harden, en passant même par les intérieurs comme Joel Embiid. Lorsque Gino arrive à San Antonio et l’utilise il surprend tout le monde car c’est alors un geste très peu courant en NBA, à l’inverse de l’Europe : « J’ai toujours utilisé mes pas latéraux pour tromper mon adversaire direct. En Italie, personne ne s’en étonnait. Ce sont les Américains qui ont donné un nom à ce mouvement et ont commencé à l’imiter. ». Ainsi, cette façon de poser deux appuis décalés avant un layup, afin d’éviter le défenseur adverse et notamment des colosses comme Shaquille O’Neal ou Karl Malone, va devenir le signature move de l’Argentin, poussant LeBron James à rendre hommage à Manu lorsqu’il prend sa retraite, avec ces mots : « Le basket te doit le mouvement le plus chaloupé de ce sport, l’euro step. ».

Malgré tout son talent, ses débuts en NBA lors de la saison 2002-2003 ne sont pas aussi simples qu’il aurait pu l’espérer. Cette imprévisibilité qui le rend capable de coups de génie comme d’erreurs grotesques aux pires moments n’est pas du goût de son entraîneur au San Antonio Spurs, Gregg Popovich. Ce dernier reconnaîtra plus tard que « c’était un compétiteur peu commun quand il est arrivé. Et déjà très accompli. Tout le monde savait déjà qui il était. Il était le meilleur basketteur outre-mer. Donc j’étais forcément très excité qu’il soit là. Mais je savais que viendraient des moments où je verrai des actions qui à la fois m’émerveilleraient et me frustreraient. ». Sa fougue rendait fou Popovich qui en rigole en disant « Quand il est arrivé à San Antonio, j’avais les cheveux bruns, au début de la deuxième saison, ils étaient tout blancs ! ». Il a dû patienter pour montrer au rigoureux coach Popovich qu’il pouvait apporter cette étincelle décisive à des Spurs au jeu aussi ennuyant (car lent et défensif) qu’efficace au début des années 2000. Joueur fantasque et qui joue à l’inspiration sans respecter un plan de jeu, celui dont le spécialiste NBA Jacques Monclar dit : « si le génie est folie, c’est Manu Ginobili », ne correspond pas à la façon de jouer de son entraîneur et cela provoquera de nombreux désaccords entre le joueur et son coach. Popovich ne fait pas confiance à Manu Ginobili lors de ses débuts et le fait sortir du banc pour limiter les conséquences des prises de risques de l’arrière ainsi qu’en raison d’une défense critiquée. Bien souvent lorsque le joueur argentin prend un risque non payant son entraîneur le sort et lui demande pourquoi il a fait ça, question à laquelle l’Argentin répond : « Je suis Manu, je ne sais jouer que comme ça. ». Manu n’est pas prêt de changer comme le confirme Ettore Messina, son ancien entraîneur au Virtus Bologne : « Quand on le coache, on doit s’imprégner de sa manière de voir le jeu car il ne la changera jamais. ». Finalement Pop n’a jamais réellement réussi à le faire rentrer dans un moule et dût se résigner à laisser certaines libertés à l’électron libre argentin, pour le plus grand bonheur des fans des Spurs. Ainsi, El Manu sort du banc pour sa première saison qui se conclut par un titre NBA remporté par des texans emmenés par un Tim Duncan exceptionnel. Manu continue de gagner partout où il passe et réussit sans doute le plus grand exploit de sa carrière en remportant la médaille d’or aux Jeux Olympiques 2004 après avoir battu les USA en demi-finale (89-81), qui restaient invaincus aux JO depuis 16 ans, avant de battre l’Italie en finale (84 à 69). Sur le toit du monde à Athènes, l’Argentin, à la fois meilleur marqueur (19.3 points par match) et meilleur passeur (3.3 passes décisives par match) est désigné meilleur joueur du tournoi après avoir réalisé l’impensable en s’insérant entre les 6 titres olympiques remportés par les américains de 1992 à 2016. Il devient alors l’un des deux seuls joueurs de basket, avec Bill Bradley, à avoir remporté le titre NBA, l’Euroleague, et la médaille d’or aux JO.  

 

Il devient titulaire lors de sa troisième saison NBA en 2004-2005, saison qui le voit devenir All Star et remporter son second titre. Il est d’ailleurs tout proche d’être élu meilleur joueur des Finales NBA, mais Tim Duncan l’emporte finalement par 6 votes à 4. Pop ne parvint jamais à redéfinir Manu Ginobili mais lui trouva un rôle, ingrat pour le talent de Gino mais que le joueur su magnifier à merveille : sixième homme. C’est alors qu’en sortie de banc, faisant passer le collectif avant les récompenses individuelles et son égo, qu’il se révèle le plus décisif de par ses inspirations géniales. Concernant sa défense, Ginóbili s’avère être limité physiquement face à des arrières bien souvent plus rapides et plus explosifs que lui, mais il compense par les passages en force provoqués et les interceptions, dont il devient très vite l’un des spécialistes en NBA. Sixième homme par excellence, il ne comporte pourtant qu’un seul titre de meilleur sixième homme de l’année en 2008, au terme de sa saison la plus accomplie en NBA et qui le voit être récompensé par une sélection dans une All-NBA Team (la 3ème), chose rare pour un 6ème homme. Véritable champion, il remporte deux autres titres NBA en 2007 puis en 2014 avec des Spurs pratiquant sans doute le plus beau basket jamais vu, un an après leur défaite en finale face au Miami Heat de LeBron, D-Wade et Chris Bosh.

  

Manu a à la fois profité et participé à la période dorée des Spurs (et de la sélection nationale argentine). Au cours de sa carrière NBA longue de 16 saisons, il a connu les Playoffs lors de chacune d’elles, et n’est pas parvenu à franchir le premier tour qu’à deux reprises (2011 et 2015), signe de sa régularité au plus haut niveau. Il fait partie de cette génération de joueurs non-américains qui ont participé à l’internationalisation de la NBA avec notamment Dirk Nowitzki, Tony Parker ou encore Pau Gasol, mais également de cette génération dorée de basketteurs argentins avec Luis Scola, Fabricio Oberto, Carlos Delfino ou encore Andres Nocioni, qui provoque un tel engouement que l’Argentine, pays de football par excellence, se prend de passion pour ce sport et son équipe nationale qui le lui rendra bien avec le titre olympique de 2004, mais également une médaille de bronze en 2008, ainsi qu’une deuxième place au Championnat du monde 2002. El Manu est également inséparable de ses coéquipiers de (presque) toujours aux Spurs, Tim Duncan et Tony Parker, avec qui il forma le trio le plus victorieux de l’histoire de la NBA. En mai 2014, le trio des Spurs devient le trio de joueurs ayant remporté ensemble le plus de matches de Playoffs, dépassant le trio des Lakers des 80’s, Magic Johnson, Michael Cooper et Kareem Abdul-Jabbar. Le trio des Spurs entérine là définitivement son statut de meilleur trio de l’histoire en compilant 4 titres NBA, 3 MVP des Finales, 23 sélections au All-Star Game, et 21 sélections dans des All-NBA Team. L’importance de Manu va encore bien au-delà de tout cela. Proche de la communauté latino de la ville de San Antonio de par la langue, il devient le 3 novembre 2017 le premier joueur latino-américain à franchir le cap des 1000 matches NBA et par la même occasion le modèle à suivre pour tous les latino-américains désirant devenir joueur professionnel. Artiste sur un terrain qui a su s’imposer comme une véritable légende du jeu sans des qualités physiques hors normes, c’est pour le plaisir de jouer entre amis et en tant que passionné de basket qu’il s’offrit ses trois dernières saisons en NBA alors qu’il aurait pu s’arrêter à n’importe quel moment. C’est aussi en tant que passionné de basket qu’il prit la décision de s’arrêter alors que la flamme qui l’habitait sur les terrains peinait à revenir à l’aube de la saison 2018-2019 après 23 saisons professionnelles et un corps devenu douloureux à 41 ans. Compétiteur acharné qui refusait la défaite, il termine sa carrière avec le meilleur pourcentage de victoires pour un joueur ayant disputé au moins 1 000 matches en carrière : 72%. « Manu est un basketteur différent, un être humain différent. Il a la même attitude que Kobe [Bryant] et Michael [Jordan]. » dira Gregg Popovich. En se penchant sur sa retraite, l’Argentin dira « c’est important de reconnaître que je suis devenu le joueur que je suis lorsque je suis passé par l’Europe. Plus que les succès sportifs que j’ai obtenus à Bologne ou ce qui a grandi en moi à Reggio Calabria, tout ce que j’ai eu la chance d’apprendre là-bas m’a servi pour après pouvoir être compétitif au niveau le plus élevé de la NBA. ». Alors que depuis qu’il a débuté sa carrière professionnelle à 18 ans à la Rioja en Argentine, le petit argentin « trop chétif » ne vivait que dans l’attente du prochain match, cette fois il n’y en aura pas et, consécration ultime, plus personne ne pourra porter son numéro 20 aux Spurs qui l’ont retiré au cours d’une émouvante cérémonie le 28 mars 2019. Cette dernière, regroupant le légendaire trio des Spurs Duncan-Parker-Manu et leur coach Gregg Popovich. GRACIAS MANU POR TODO !

  


MANU GINOBILI

  Palmarès en club :

  • 1 fois révélation du championnat argentin : 1996
  • 1 fois meilleur progression du championnat argentin : 1998
  • 3 fois All-Star du championnat italien : 1999, 2000 et 2001
  • 2 fois MVP du championnat italien : 2001 et 2002
  • 1 fois vainqueur du championnat italien : 2001
  • 2 fois vainqueur de la coupe d’Italie : 2001 et 2002
  • 1 fois champion de l’Euroligue : 2001
  • 1 fois MVP de la finale de l’Euroligue : 2001
  • 1 fois meilleur joueur de la coupe d’Italie : 2002
  • 1 fois All-Rookie Second Team : 2003
  • 4 fois champion NBA : 2003, 2005, 2007 et 2014
  • 2 fois All-Star : 2005 et 2011
  • 2 fois All-NBA Third Team : 2008 et 2011
  • 1 fois meilleur Sixième Homme de l’Année : 2008
  • Sélectionné parmi les 50 meilleurs contributeurs de l’Euroligue à l’occasion du cinquantenaire de la coupe d’Europe de basketball en 2008
  • Meilleur intercepteur de l’histoire des San Antonio Spurs : 1 392 interceptions

Statistiques avec les San Antonio Spurs : 1 057 matches, 13.3 points (à 44.7 % au shoot, 36.9 % à 3 points et 82.7 % aux lancers-francs), 3.5 rebonds, 3.8 passes et 1.3 interceptions en 25.4 minutes par matches Palmarès en équipe nationale d’Argentine :

  • 1 fois champion olympique (MVP et nommé dans le premier cinq) : 2004
  • 1 fois MVP des Jeux Olympiques : 2004
  • 1 fois médaille de bronze aux Jeux Olympiques : 2008
  • 1 fois vice-champion du monde : 2002
  • 2 fois nommé dans le premier cinq du championnat du monde : 2002 et 2006
  • 2 fois vainqueur du championnat des Amériques : 2001 et 2011
  • 1 fois meilleur joueur du championnat des Amériques : 2001
  • 1 fois finaliste du championnat des Amériques : 2003
  • 1 fois troisième du championnat des Amériques : 1999
  • 2 fois Olympe d’Or du meilleur sportif argentin de l’année : 2003 et 2004 (à égalité avec le footballeur Carlos Tévez).
  • 1 fois Prix Konex du sportif argentin de la décennie : 2010